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Titel
Péril vénérien. La lutte contre les maladies sexuellement transmissibles à Lausanne et Neuchâtel avant l’apparition du sida.


Autor(en)
Malherbe, Nicole
Reihe
Collection Histoire et société
Erschienen
Neuchâtel 2002: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
190 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Halle Marianne

Appelée à l’origine «mal de Naples», à cause de son apparition présumée dans le port méditerranéen au XVe siècle, la syphilis n’est en fait pas la plus commune des maladies vénériennes, bien qu’elle demeure celle qui a le plus frappé les esprits. Des trois pathologies abordées par l’ouvrage de Nicole Malherbe, à savoir la syphilis, le chancre mou et la blennorragie, c’est en effet la dernière dont la fréquence est la plus élevée. Tirée d’un mémoire de licence, cette étude porte sur la lutte contre ces maladies dans les villes de Lausanne et Neuchâtel. La perspective comparative permet de montrer que si le combat antivénérien était fondé sur les mêmes principes dans les deux capitales cantonales, la réalité concrète de cette lutte a varié d’un endroit à l’autre. Après quelques pages introductives, dont une préface de Geneviève Heller, retraçant l’histoire de ces maladies comme des connaissances médicales et thérapeutiques qui s’y rapportent, l’auteur recentre son récit sur la Suisse et entre dans le sujet. Une première partie raconte les pas initiaux de la lutte (1870–1918), qui s’inscrivent dans un moment particulier. En effet, les maladies vénériennes étaient déjà connues et relativement fréquentes à la fin du XIXe siècle, mais les craintes, très répandues à l’époque, liées à la dégénérescence de la race ont fait croître l’intérêt des médecins comme des philanthropes pour ce problème. Les maladies vénériennes cessent alors d’être considérées comme faisant partie de la sphère privée pour devenir un problème d’envergure nationale: le «péril vénérien» était né, rejoignant ainsi dans la triade des grands fléaux sociaux du tournant du siècle la tuberculose et l’alcoolisme. Les moyens de cure pour ces maladies étant rares, fastidieux et douloureux quand ils ne sont pas simplement absents, contribuent à situer la première phase de la lutte sur un plan essentiellement moral et non médical. L’un des points qui distingue ces pathologies des autres fléaux sociaux est la notion de culpabilité du malade: la contagion se produisant le plus souvent lors d’un acte moralement répréhensible et évitable (une relation sexuelle hors mariage), les malades sont considérés comme responsables de leur état. Le fait de voir ces maladies comme les conséquences d’une faute a orienté le combat antivénérien dès le début. Très rapidement en effet, la problématique des maladies vénériennes devient indissociable de celle de la prostitution, perçue, non nécessairement à tort d’ailleurs, comme la source principale de contagion. Deux courants dominent alors le débat, l’abolitionnisme et le réglementarisme. Le premier, mouvement proto-féministe majoritaire à Neuchâtel, tente de venir en aide aux «filles tombées» ainsi qu’aux mères de familles innocentes contaminées par un mari volage; alors que le second, plus pragmatique et dominant à Lausanne, cherche davantage à exercer un contrôle social fort sur le monde de la prostitution, notamment sur le plan médical. Parallèlement, les premiers dispensaires et services spéciaux pour vénériens dans les hôpitaux s’organisent. Pourtant, ceux-ci peinent à convaincre une grande partie des malades de s’y rendre, la crainte de se montrer publiquement en tant que vénérien étant toujours très forte. Un autre front de la lutte est celui de l’information, sous forme de campagnes d’éducation sexuelle. C’est d’ailleurs l’un des éléments intéressants de ce travail, qui gagnerait à être explicité et analysé plus en profondeur qu’il ne l’est ici: la lutte contre les maladies vénériennes génère un discours nouveau sur la sexualité. Pourtant, ces tentatives d’informer le public se heurtent, et cela presque tout au long de la période traitée, à deux écueils. D’abord, il est à l’époque presque impossible de parler de «prophylaxie individuelle» (préservatifs et autres solutions chimiques) sans être immédiatement accusé de promouvoir la contraception. Ensuite, toute information trop explicite sur la sexualité risque d’être considérée comme une incitation à la débauche, surtout lorsqu’elle est destinée aux jeunes. Il s’agit en conséquence plus d’une norme sexuelle à promouvoir, faite de continence et de morale stricte, que d’une réelle information. Avant la Première Guerre mondiale, le terrain est donc essentiellement occupé par d’autres acteurs, à savoir les commerçants qui vendent des produits de ce type. Le dossier de sources reproduites dans l’ouvrage de Malherbe est intéressant à ce titre, puisqu’il donne notamment à voir plusieurs de ces publicités.

La Première Guerre mondiale marque une rupture dans l’histoire de la lutte contre les maladies vénériennes. C’est en constatant les ravages que produisent ces maladies dans l’armée que l’Etat intervient pour la première fois dans le combat et met en place un système de déclaration obligatoire de tous les cas de maladies vénériennes diagnostiqués chez les soldats. L’enjeu devient alors réellement national.

La Seconde partie du travail couvre une nouvelle phase, qui débute dès la fin du conflit avec la création de la Société suisse de lutte contre les maladies vénériennes (SSLMV), dont l’objectif est de centraliser et de coordonner une lutte qui se veut d’envergure nationale et de longue durée. Dans ce but, elle réalise entre 1920 et 1921 une enquête nationale, la première dans son genre, pour connaître l’étendue du mal. Un préjugé très répandu s’en trouvera bousculé: celui du rôle de la prostitution dans la propagation de ces maladies. En effet, les résultats de l’enquête (dont le taux de participation est estimé entre 75% et 100%) démontrent que ce sont les relations sexuelles extraconjugales, mais non vénales, qui sont le premier vecteur de contagion. Cette donnée a son importance, car un changement de point de vue s’opère au début des années 1920. Ce qui différencie bons et mauvais malades, c’est-à-dire avant la guerre le mode de contagion, devient la manière dont ils se soignent. Ceux qui appliquent à la lettre les prescriptions du monde médical et des moralistes, se présentant d’eux-mêmes aux consultations et suivant leur traitement, sont relativement bien acceptés. Alors que les récalcitrants, qui refusent d’être traités et continuent de contaminer leur entourage sont unanimement condamnés. Ainsi, la SSLMV tente de quitter le champ moral pour une orientation plus strictement médicale et scientifique.

Malherbe ouvre ensuite un troisième chapitre et entre dans le détail de l’action menée par les sections cantonales vaudoise et neuchâteloise. La première est considérée par le comité central comme un modèle à suivre. Souvent en avance sur les autres cantons, la lutte antivénérienne menée par la section vaudoise connaît d’abord une orientation plutôt libérale, axée sur l’information et l’accès aux soins anonymes et gratuits, avant de devenir progressivement plus coercitive à partir de 1925. Preuve de la nouvelle direction prise par le combat, la loi cantonale de 1928, première nationale, qui permet d’obliger les vénériens récalcitrants à se soigner. A Neuchâtel, un personnage omniprésent, le Dr Chable, dirige le combat selon des positions très proches de celles d’une autre organisation au nom évocateur: le Cartel romand d’hygiène sociale et morale, dont il est d’ailleurs le président durant de nombreuses années. Le Dr Chable organise principalement des campagnes d’éducation sexuelle destinées aux enfants et adolescents du canton. Pourtant, c’est bien plus d’une éducation morale qu’il s’agit, puisque le message central consiste à réduire la vie sexuelle de ses ouailles à son expression la plus traditionnelle, les relations à but de procréation, et ce uniquement dans le cadre du mariage. On notera ici un regret: l’analyse des causes des différences entre la lutte antivénérienne menée dans les deux cantons est un peu courte. La Seconde Guerre mondiale est, tout comme la Première, elle aussi un moment clé dans l’histoire de la lutte contre les maladies vénériennes. En effet, la découverte de la pénicilline en 1941 rend celles-ci curables de façon relativement rapide et indolore. La lutte, dont l’intensité était déjà passablement réduite depuis 1935, prend fin dès la seconde moitié des années 1940. Un chapitre de l’histoire sociale de la médecine se referme alors. Les maladies vénériennes avaient cristallisé les peurs de la société face à la dégénérescence tant physique que morale de la race. La lutte contre ce fléau a pour le moins eu comme conséquence de faire sortir de la sphère privée la sexualité individuelle pour en faire un sujet à dimension publique. Le discours, nouveau tout en restant normatif et moralisateur, que ce mouvement a fait naître, prête à réflexion à l’heure où le sida continue ses ravages.

Citation:
Marianne Halle: compte rendu de: Nicole Malherbe: Péril vénérien. La lutte contre les maladies sexuellement transmissibles à Lausanne et Neuchâtel avant l’apparition du sida. Neuchâtel, Editions Alphil, Collection Histoire et société, 2002. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr. 3, 2005, S. 363-366.

Redaktion
Veröffentlicht am
02.12.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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